Jan 022016
 

Edit du 3 janvier : Grâce à de multiples relecture, le texte a été mis à jour et corrigé de pas mal de faute. La version la plus à jour ce trouve sur le gitbook de mon Projet Bradbury, allez y pour y lire une version sans faute !

 

Edit : Concernant le très petit nombre de fautes dans ce texte, vous pouvez dire merci à Ewjoachim qui a pris sur lui et a été mon relecteur ce matin. Et je peux vous dire qu’il a eu du boulot … Malheureusement. Merci encore !

Note avant lecture : Ceci est un premier jet, si j’ai le courage et le temps, je le reprendrais pour améliorer un peu le tout. C’est aussi le premier texte de mon projet Bradbury 2016 !

 

17 juillet. Debout sur le muret qui sépare le toit de son immeuble du vide, il sort son vieil Ipod de sa poche et en tape le code PIN d’une main. De l’autre il se tient à un vieux piquet de métal tordu et rouillé, lamentable vestige du filet protecteur naguère tendu là. Il regarde la ville tout autour de lui comme c’était la dernière fois qu’il pouvait la voir. Dieu, qu’il aime Brooklyn. 17 juillet, après une hésitation, il se souvient de la date du jour qui lentement cours vers sa fin. Il lance la musique d’un clic et appuie rapidement sept fois sur suivant. Trois secondes de blanc. Sa respiration se coupe, dans l’attente. Les premières notes caracolent dans ses oreilles. Puis les paroles ‘All around me familiar faces..’ Il soupire, laisse la musique le bercer. L’écran de l’ipod affiche vaillamment ‘Mad World – Tears of Fears’. La chanson finit, déjà. Il tapote sur stop ne laissant pas le silence entre deux morceaux s’éteindre et descend du muret. « Pas ce soir, ce soir rien ne finit » se murmure-t-il à lui même. Morceau 1230 sur 1716 affiche l’écran.

Son appartement. L’air brûlant et saturé d’humidité rend chaque mouvement épuisant. Tout est moite, tout est lourd. Il rêve d’avoir une climatisation fonctionnelle. Machinalement il essaie de l’allumer, espère entendre le moteur se mettre en marche. Mais non, rien, le silence, enfin si l’on ne tient pas compte des bruits de dispute qui traversent le plancher.  Depuis quinze ans que les Hyperloop sont en services, les villes sont massivement désertées. Pourquoi s’entasser dans un environnement surpollués alors que vous pouvez habiter à 800 kilomètres, en pleine nature, et être tout de même à votre bureau en moins de 20 minutes. Résultat, seuls les gens trop pauvres pour déménager ou se payer un abonnement Hyperloop restent encore dans les villes. Et tout se dégrade. Les banlieues pourrissent à vus d’oeil, rongées par l’absence d’entretien et par les désertions de leur habitants.

Mais il a toujours aimé les grandes villes. Même à l’abandon. Surtout à l’abandon. Ce qui le dérangeait le plus dans les grandes villes, c’était bien souvent ceux qui y vivaient. Maintenant, les choses ont changé, les villes sont vides ou presque. Et puis, il faut bien avouer que de toute façon, son boulot illégal de de consultant épisodique lui permettait à peine de payer son loyer actuel. L’aurait-il voulu, qu’il n’aurait pu aller ailleurs.

Il s’assied lourdement dans le vieux fauteuil rapiécé qui lui tenait lieu de bureau et allume son vieux portable. Un nouvel email. « Vous avez gagné à la loterie de l’année ! Vous gagnez un séjour à l’auberge de la Chouette » Tiens, il semblerait qu’il vaéteint son portable, avoir un nouveau boulot. Il lit l’email jusqu’au bout, identie le lieu de rendez-vous. « Demain matin… », ils sont pressés les bougres. Il va peut-être pouvoir leur soutirer de quoi payer quelques mois de loyer. Mais en attendant, c’est l’heure de fêter ça.

Il se relève, éteint son portable, et le glisse dans sa cachette, dans un espace vide dans le corps de sa hotte de cuisson, juste au dessus des filtres. Son PC sent parfois un peu la friture, mais jusqu’à présent, personne n’a jamais pensé à chercher à cet endroit.

Après avoir tapé quelques coup de manche à balais dans le plafond pour faire taire les cris, il sort, essayant de s’auto-convaincre qu’il a quelque chose à fêter, qu’il ne va pas boire juste pour oublier, que c’est juste pour célébrer sa future paie.

Il pousse la porte du bar. La musique, du vieux blues comme il aime, le salue de quelques notes. Il n’y a que les habitués, ce qui veut dire quasiment personne. Il salue d’un geste, s’assied et attend.
« Hello B, ça fait quelques jours qu’on ne t’a pas vu, tu nous fais des infidélités ? » demande le tenancier en lui apportant une pinte.
« Tu sais bien que tu es le dernier bar ouvert du quartier, George. Que je voudrais, je ne saurais pas où aller. Non. je ne me sentais pas très bien »
« Rien de mieux qu’une ou deux pintes pour soigner tout les maux, la prochaine est pour la maison »
« Voila qui fait plaisir à entendre »

Le patron repart s’occuper de son zinc. B fait durer sa pinte. Mais quelque soit la taille du verre, arrive toujours le moment où il se retrouve vide. Heureusement, Dieu a inventé les barmans. Et son verre est de nouveau plein. La musique le tire vers ses souvenirs, son passé. Plusieurs pintes subissent le même tragique sort que la première.
« Et toi, est-ce que le match de 2030 du Brésil n’est pas le meilleur match des 100 dernières années  ? »
B sursaute, relève le nez de ses souvenirs et de sa pinte. Deux jeunes qu’il n’a jamais vu avant sont attablés au zinc et discutent avec George et deux autres habitués.
« Ne fais pas attention B, c’est Jester, mon neveu, il passe parfois et il est bien trop fan de foot pour son propre bien » lance le patron en finissant de laver des pintes.
« Non mais Tonton, il sera de mon avis, tu verra, alors monsieur B, le match de 2030? »
« Je ne sais pas, je n’aime pas le sport et en 2030, j’étais en prison, alors … »
« En prison ? T’avais fait quoi pour aller derrière les barreaux ? »
B soupire, « Utilisation interdite d’outil de développement informatique »
« Quoi tu veux dire que t’étais un terroriste, que tu faisais exploser des trucs avec ton clavier  ? »
« Non, je voulais juste garder ma vie d’avant les lois de 2022, garder mon boulot et je me suis fais attraper. »
B se lève, signifiant implicitement que la discussion était finie. Le sol tangue un peu, mais ce n’est pas si terrible que cela. Il juge toutefois plus prudent de laisser la dernière pinte vide sur la table. Tenter de la ramener sur le zinc semblait pour le moins risqué pour son intégrité de pinte.
« George tu le met sur ma note, je vais avoir une rentrée là bientôt, ok ?»
« Comme d’hab B, tu paieras quand tu pourras »

Entre le 17 et le 18 Juillet. Il marche lentement sur Union Avenue. La nuit est toujours aussi chaude malgré l’heure avancé. Les étoiles brillent et lui zigzague légèrement. Ce petit con a fait remonter les mauvais souvenirs. Ceux qu’il ne veut pas revivre. Il se revoit il y a si longtemps. Son entreprise de consulting en système expert et expert data scientist fonctionnait bien. Il habitait encore en France, avec sa femme et sa fille. Il trébuche sur un trou dans le trottoir, tente de se rattraper, se cogne dans un mur, s’effondre le long de celui-ci, reste au sol. Les souvenirs se pressent. Sa fille, ses joies. Et puis l’événement. Les choses qui s’accélèrent, les responsables politiques qui légifèrent. L’informatique et l’internet sont devenus hors de contrôle déclament-ils partout. Il faut remédier à cela. Il faut interdire.

Il pleure, par terre, la joue contre le mur.

Il veut se battre, il refuse de tout perdre. Il traverse une frontière, avec sa famille. Résistance des mots. Il continue à utiliser son clavier, pour vivre, pour tenter comme tant d’autres, de faire cesser cette folie. 18 novembre 2023. L’arrestation, les coups, les larmes de sa fille.

Il a vomi sa bière. A quatre pattes, il se traîne sur la route, s’y couche.
« S’il vous plait »
Il attend, les bras en croix sur le bitume, espère entendre un moteur.

Il sort de la station Fulton Street. Le café où il a rendez vous est à deux pas. Sa nuit sur la route n’a presque pas laissé de trace, seulement quelques écorchures sur la joue et les poignets. Bah si il me demande, je dirais que l’on a essayé de me voler hier soir.

18 Juillet. Il s’assoit, commande une boisson dont il n’arrive même pas à prononcer le nom correctement et attend. Un jeune homme, un brushing et mocassin comme il les appelle, entre. Le brushing double-cligne des yeux et parcoure la salle en articulant quelques mots.
Encore un augmenté qui s’est fait greffé de la merde directement sous la peau…
Le brushing le repère. Il doit être satisfait de ce que lui affiche son écran de pupille et il s’approche.
« Bonjour monsieur.. »
« Juste B, s’il vous plait »
« Très bien, bonjour monsieur B »
« Vous avez un boulot pour moi ? »
« Il se pourrait que nous ayons besoin de vos compétences oui, êtes-vous disponible ? »
« Oui, mes tarifs n’ont pas changé, toujours une semaine d’avance »
« Sans problème, voici un badge pour pouvoir passer la sécurité, on vous attend dans une heure pour un briefing, au croisement de Beaver et Pearl »

Il entre sans problème grâce à son badge. À l’accueil, on lui dit d’attendre. Un vigile l’amène dans un bureau d’examen. Après une vérification rapide de son identité grâce à son ADN, on le conduit en salle de réunion.
Une dizaine d’ingénieur totalement paniqués et qui pourraient tous être ses fils ou filles lui expliquent la situation. L’une des activités de l’entreprise est de prévoir les problèmes. Inondation, sécheresse, problème de sécurité sur un produit quelconque, guerre entre deux pays. Une fois que le futur problème a été détecté, l’entreprise agit de façon a maximiser ses profits. C’est l’une des branches les plus rémunératrices de l’entreprise. Jusqu’à il y a quelques semaines. Le système expert utilisé pour détecter ce qu’ils appellent des “situations fortement rentables” ne fonctionne plus. Il tourne dans le vide. Les diagnostics ont tous échoué. Ils ne savent plus quoi faire.
« J’ai besoin d’un accès au programme pour pouvoir commencer. Et d’un bureau où je pourrai travailler, seul »
« Mais monsieur, depuis les lois de 2022, un informaticien autorisé ne peut être laissé seul dans un bureau, ce n’est pas possible » lui répond celui qui doit donc être le chef de projet de cette équipe.
« Je ne suis pas un informaticien autorisé jeune homme, alors ça ne doit pas être si grave »

On lui trouve finalement un bureau. En fait du bureau, on lui alloue tout simplement un open space que l’on vide de tous ses informaticiens. Le jeune chef de projet, Lloyd, avait dit vrai, il n’existe plus de bureau d’informaticien.

Il a presque oublié que les claviers ont perdus quelques touches depuis 2022. Même si les grandes entreprises peuvent payer à l’état des licences de certification leur permettant de former et de faire travailler des informaticiens, les choses ne sont plus comme avant. Les informaticiens certifiés sont comme des fées à qui on auraient coupé les ailes. Il a heureusement pensé à amener un vrai clavier. Rien que posséder un tel clavier peut le renvoyer en prison, mais il y a de moins en moins de contrôle. 21 ans après la promulgation de loi, il n’y a après tout plus vraiment d’informaticiens illégaux à pourchasser.

Il se met au travail.

23 Juillet. Il piétine. Le système expert est construit de bric et de broc, sans aucune élégance, assemblage de bouts de code à peine compris, mais il devrait fonctionner.

23 juillet, chez lui, sur son toit. Il pleut. Le muret est glissant. Il se tient fermement à son ami le piquet. 23 juillet, il appuie trois fois sur suivant. Il retient son souffle. « Ohh, can’t anybody see… » Il recommence à respirer pendant que Roads de Portishead déroule ses notes tristes. 34 sur 1716 affiche son vieil Ipod. La chanson se termine, avant que la suivante ne commence, il appuie sur stop et rentre chez lui.

Lloyd passe parfois le voir pendant qu’il tente de trouver la panne du système. Habituellement il n’aime pas parler avec les informaticiens autorisés qu’il croise. Ils ont tous été formés avec des bouts de savoir, de la connaissance expurgée de ce qui fait la beauté de l’informatique. On ne leur apprend pas à innover, à inventer mais simplement à réutiliser des bouts de recettes qui datent d’il y a bientôt trente ans.

26 juillet. Il isole chaque partie du système, les teste les unes après les autres. Pour aller plus vite, il a ramené un interpréteur Python pour lui permettre de ne pas lancer les tests manuellement. Il le supprime à chaque fois qu’il quitte les locaux de l’entreprise, pour plus de sécurité.

30 juillet. Il n’arrive à rien. Il a passé la journée à tourner en rond sans comprendre ce qui ne va pas. Brushing lui a fait savoir qu’il ne lui restait plus que quelques jours pour résoudre le problème. S’il n’y arrive pas, il sait que l’entreprise ne lui fera pas de cadeau. Elle le livrera à la police. Et cette fois, il finira sa vie dans une cellule. Il regarde le soleil se coucher, illuminer les immeubles de Manhattan. 30, il appuie 10 fois sur suivant, les écouteurs dans les oreilles. Des notes de guitare et puis les paroles « No more tears, my heart is dry » Reckoning Song affiche l’ipod. 535 sur 1716 en sous-titre.

2 août. Il a une idée. Il bricole un prototype pour communiquer directement avec le système expert.

3 août, le système fonctionne à nouveau. Il supprime tout ce qu’il a pu installer sur le poste qu’il a utilisé. Il sait que l’entreprise va auditer son poste de travail espérant qu’il y a oublié des bouts de programmes ou des connaissances qu’elle pourra réutiliser. Tout est propre, il est temps.
« Comment avez-vous fait ? Quel était le problème ? » Lloyd l’attendait devant l’ascenseur.
Normalement il ne dévoile jamais les solutions qu’il a mis en place. Mais là, il est trop fier et puis il aime bien le jeunot.
« Le problème n’était pas dans le code » répond alors B
« Mais alors où ? »
« C’est tout simple, votre système expert cherche des indices de catastrophes pour pouvoir les prédire. Il fait cela depuis des années, des catastrophes encore et encore. Incendies, guerre, inondation, tueur en série, encore et toujours. Il avait simplement attrapé une grosse déprime »
« Mais un programme ne peut pas être déprimé !»
« Peut-être, ou peut-être pas, en tout cas le vôtre, oui »
« Et vous avez fait quoi alors ? Vous lui avez raconté une blague »
« Presque, je lui ai offert l’intégrale d’une bande dessinée humoristique des années 2010, Dilbert. Et j’ai ajouté une routine pour qu’automatiquement il en lise quelques uns, tout les jours »
« Et quand il les aura tous lus ? »
« Alors vous aurez peut être à nouveau besoin de moi »
Lloyd le regarde bizarrement. L’ascenseur ouvre ses portes. Il y entre, appuie sur 1.
« Je comprends pourquoi l’informatique a été interdite, vous êtes dangereux » lance Lloyd alors que les portes se referment.

3 août. Une bouteille d’alcool fort dans la main, il regarde les étoiles debout sur son muret quasi-éternel. La bouteille est vide, il la jette. 3 août, il appuie trois fois. Un piano… et puis une voix «I’m a rabbit in your headlights … Scared of the spotlight» Il tangue un peu sur le muret, se retient. Pas ce soir.

13 septembre. Il est à sa table habituelle au Rocka Rolla. Comme toujours, il lui semble que ses pintes fuient. Il a à peine le temps d’en boire une gorgée qu’elles sont déjà vides. Le neveu, il ne se souvient plus de son nom entre en coup de vent.
« Tonton, tu as vu, ils en ont attrapé un, j’ai vu ça sur twittbook ! »
« un quoi ? » demande George ?
« un informaticien illégal là, il travaillait dans une boite de Manhattan, la police pense qu’il préparait un attentat, surement un truc horrible d’après les journalistes ! »
Soudain il a froid, il tremble. Il fait comme si cela ne l’intéressait pas. Il se lève, trébuche, sort.

Chez lui. Lloyd. Le jeune fou n’a pu s’en empêcher. Il pleure.

14 septembre à l’aube. Il n’a pas dormi de la nuit. Il regarde l’aube se lever. Si tôt, tout à l’air si paisible, si propre. 14, il appuie quatre fois sur suivant. La musique commence. Il la reconnaît « Why do you walk in the dark?  ….Do you pray for the the day? » L’écran de l’ipod affiche Everything Must End – Client. 13 sur 1716.

Il fait un pas en avant.

Les rayons du soleil éclairent le muret.

 Posted by at 05:14

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