Oct 092010
 

Explication de texte :

La cantatrice et l’assassin est la première nouvelle que j’ai fini, vraiment fini et que j’estime ‘lisible’. (si je l’ai fini, c’est peut-être parce qu’il est très court… mais bon l’important est que je sois arrivé à le finir). Je me souviens l’avoir écrit un samedi après-midi, de novembre, il y a quelques années, juste après une opération mineure. Je m’en souviens bien, parce que les anesthésies, même locales, me mettent toujours un peu dans le cirage et que cette petite histoire, j’en ai rêvé une bonne partie, en début d’après-midi, avant de me réveiller et de me jeter sur un stylo, pour l’écrire d’une traite.

L’assassin chercha du regard le numéro de la chambre que ses patrons .. ou ses maîtres, oui maîtres était le mot qui convenait pensa-t-il, lui avaient donné en le déposant à deux rues de l’hôtel de luxe dont il arpentait les couloirs. Il n’avait que quelques dizaines de minutes avant qu’on ne découvre son intrusion. Il devait tuer la cantatrice. Lorsqu’il avait demandé ce qu’était une cantatrice, ses maîtres lui avaient répondu qu’une cantatrice créait de la musique et de l’espoir. L’assassin ne savait pas ce qu’était l’espoir et encore moins ce que pouvait être la musique. Il trouva enfin la porte de la chambre qu’il cherchait. Tout en la crochetant, il pensa à la tulipe de sang qu’il allait tracer avec la pointe de sa lame sur la peau de sa victime. La serrure céda silencieusement. D’un bond, il entra dans la chambre, sa lame déjà dégainée et prête à tuer. La chambre était vide et plongée dans la pénombre. Seules quelques bougies et la pâle clarté des deux clairs de lune filtrant à travers les volets faisaient reculer l’obscurité. Il ferma la porte en se demandant sur quelle partie du corps de la cantatrice il dessinerait sa tulipe. L’assassin aimait les peaux jeunes et lisses, les tulipes y fleurissaient bien mieux que sur la peau des vieillards. Ses maîtres lui avaient dit que la cantatrice était jeune, l’assassin sourit. Ce soir, sa tulipe serait superbe.

L’assassin s’éloigna de la porte et scruta la pièce d’un long regard. Décorée de rouge et d’or, elle rayonnait la joie et la chaleur. Des valises à demi-ouvertes étaient posées sur le bord du lit bordeaux. Sur un dossier de siège, une robe de soirée attendait d’être mise. L’assassin passa ses doigts sur le doux tissu soyeux. De la lumière filtrait du dessous d’une porte. Ce devait être la salle de bain. Ses maîtres lui avaient certifié qu’elle serait dans sa chambre, la cantatrice devait donc être là. L’assassin tendit l’oreille, mais l’isolation était parfaite. Impossible de savoir ce que faisait la cantatrice. Il raffermit sa prise sur le manche de sa lame et avança doucement vers la porte, tous les sens aux aguets. Il posa enfin la main sur la poignée. Il pensait ouvrir la porte et se jeter en avant pour égorger sa cible avant qu’elle n’ait le temps d’appeler des secours. Il fit tourner la poignée et prépara sa dague. Alors qu’il allait sauter dans la pièce, la musique le stoppa net dans  son élan. La cantatrice était sous la douche, il pouvait la distinguer vaguement à travers le rideau de plastique. Mais surtout, la cantatrice chantait. De toute sa vie, l’assassin n’avait jamais entendu la moindre musique, le plus petit chant. Et là, brutalement, il entendait un chant si parfait.. qu’il en avait mal. Quelque part il le savait, des gardes avaient découvert sa présence. Ils devaient sûrement déjà être en train de hurler dans leur radio tout en courant vers cette petite salle de bain. Il le savait et pourtant il ne bougeait pas. Plus rien n’avait d’importance, plus rien d’autre n’existait que ce chant qui lui parlait, qui lui racontait sa propre vie.

Il entendit le chant lui parler des lacs infinis de tristesse où il s’était si souvent noyé. Il écouta le chant lui parler des déserts de souffrance que lui avaient infligés ses maîtres pour parfaire son entraînement. Le chant lui raconta les étendues blanches et infinies de solitude qu’il avait traversé tout au long de sa vie. L’assassin sentait les larmes couler sur ses joues. Ses doigts se déserrèrent et sa lame tomba au sol. Le chant continuait à lui parler et lui continuait à écouter et à pleurer. Les bruits de cavalcade se rapprochèrent et les gardes enfoncèrent la porte de la chambre qu’il avait si soigneusement refermé. Ils se précipitèrent à l’intérieur de la chambre en hurlant à la cantatrice de ne pas bouger. La cantatrice, effrayée, arrêta de chanter.  Apeurée, elle cria qu’elle était dans la salle de bain et passa la tête entre les deux pans du rideau de douche. Elle vit alors son assassin, les yeux plein de larmes, le regard perdu et rempli de douleur, son arme traînant sur le sol. Elle vit aussi les gardes faire irruption. L’assassin encore empêtré dans la puissance et la beauté du chant reprit alors quelque peu ses esprits. Il tenta de se baisser tout en ramassant son arme pour faire face aux soldats et lutter. La cantatrice vit toute la scène comme au ralenti. L’assassin se retournait lentement, un instant elle crut qu’il allait réussir à ramasser son arme et à rouler bouler jusque derrière un meuble. Mais les gardes dégainèrent et tirèrent. L’assassin reçut les tirs des lasers en plein ventre. Il crut que ses entrailles hurlaient de douleur dans son crâne. Il s’écroula, sa vie s’écoulant lentement de ses blessures.

Le chef des gardes s’excusa auprès de la cantatrice pour cet incident. Il lui promit que tout serait rapidement remis en ordre, qu’on allait la changer de chambre et que cela ne se reproduirait plus. Il hurla dans sa radio pour que le service de ramassage se dépêche d’arriver pour s’occuper d’un mort et qu’on envoie au plus vite des gens pour la cantatrice.

L’assassin, enveloppé de son linceul de souffrance tenait ses mains crispées sur son ventre déchiré. Il tourna la tête vers la cantatrice. “Chantez encore, s’il vous plaît” supplia-t-il de la voix pâteuse des agonisants. Les gardes ricanèrent en lui promettant qu’il aurait bientôt droit aux doux chants des démons de l’enfer et le chef de la sécurité lui envoya un coup de pied dans les genoux pour faire bonne figure.

“De là d’où je viens, on respecte les mourants et on exécute leur dernière volonté, même si ce sont des criminels” s’insurgea la cantatrice d’un ton sec et tranchant. Elle sortit de la douche et s’agenouilla dans le sang de l’assassin. Les gardes éberlués ne savaient plus que dire ou que faire. La plus grande des cantatrices, celle pour qui les princes se damneraient, celle que tous rêvaient d’entendre chanter, celle dont les chants ravissaient les foules et faisaient naître l’espoir dans des millions de cœurs. Celle-la même était nue devant eux, assise dans le sang de celui qui avait tenté de la tuer. La cantatrice prit la tête de l’assassin et la posa sur ses genoux. L’assassin ouvrit à nouveau les yeux. Il plongea son regard au fond de celui de la cantatrice qui lui caressait les cheveux et le front. Il déglutit et articula difficilement alors que du sang apparaissait déjà aux commissures de ses lèvres : “Chantez encore, s’il vous plaît, chantez encore pour moi.”
La cantatrice continua à peigner les cheveux de son assassin. Les larmes coulaient maintenant sur ses joues.
“Oui, je vais chanter encore une fois pour toi” répondit-elle dans un souffle. La cantatrice commença alors à chanter. Elle chanta la vie, la rougeur de l’amour et le blanc de la haine, elle chanta l’espoir, la douleur et la joie. Les gardes debout écoutaient et pleuraient submergés par la force du chant.

Le regard de l’assassin ne lâchait plus celui de la cantatrice, muet dialogue, muet pardon. Il écoutait le chant qui lui parlait, lui apprenait les sentiments et les émotions qu’il ne connaissait pas. Et la cantatrice chanta encore, la flaque de sang autour d’elle s’agrandissant peu à peu.

Pour  la première fois, alors que sa vie le quittait, l’assassin comprenait ce qu’était le bonheur d’être en vie, pour la première fois il était heureux et en paix.  Il laissa le chant lui raconter le bonheur, il laissa le chant le bercer. La cantatrice chanta jusqu’à ce que le visage de son assassin devienne froid sous ses doigts. Elle ferma alors les yeux de l’inconnu qui avait voulu la tuer. Et pour la première fois, une cantatrice pleura son assassin.

  12 Responses to “La cantatrice et l’assassin”

  1. C’est très beau.

  2. Uh!? Je rejoins Nicolas. Et je reste sans voix…

  3. merci à tout les deux.

  4. superbe. Merci.

  5. Avis partagé. De toute façon ça tombe bien je n’aime pas donner mon avis d’une façon monolinéaire sur le travail littéraire de quelqu’un d’autre.

    J’aime bien, sans pour autant trouver cela vraiment fascinant. Joli, bien tourné, certes, mais peut-être que le texte manque de personnages trop concrets.
    Il s’agit d’une nouvelle, d’accord, mais est-ce que cela stipule que les personnages ne soient pas vraiment … tangibles ?
    L’assassin, par exemple, avec son air un peu sadique. L’arme humaine par excellence ? D’accord. Avec un super entrainement. Qui n’a jamais entendu de musique d’ailleurs (ce qui dans un monde où les gardes (ou les soldats ?) sont équipés de laser me semble plus étrange qu’autre chose). Wait a … dans un monde technologique on va me dire qu’il n’a jamais entendu personne siffloter ? A moins d’avoir vécu comme un moine pendant des années. Mais il “aime tracer des tulipes sur la peau de ses victimes”. Et donc aucune de ses victimes n’écoutait la radio ou ne regardait la télévision. Jamais en allant sur une mission il n’est passé devant un bar ouvert ? Jamais un de ses maitres ou geoliers ne s’est laissé aller à fredonner un air populaire ? Tiens, je crois que le personnage principal viens de voler en éclat.

    En fait pour une nouvelle qui repose sur deux personnages, dont un qu’on ne voit presque pas, ça me parait étrange.

    Ensuite je trouve qu’il manque une réelle confrontation. C’est à dire que là, la cantatrice ne sait même pas que c’est un assassin avant qu’on le lui dise. Juste qu’elle voit un mec, sans doute en noir, qui se fait abattre par des gens (à coup de laser !) et qui cherche à ramasser son arme. Comment elle sait que c’est un assassin ? Diable.

    Je sais pas, mais j’aurai préféré une vraie confrontation. La cantatrice qui sort de la douche, qui voit un mec en noir/combi fluo/truc zarb futuriste qui se tient sur le sueil avec un couteaux, qui n’arrive pas à porter le coup parce qu’il est ému et, la cantatrice pousse un cri de peur ce qui attire les gardes.

    A ce stade de la critique (désolé, c’est long, mais j’aime pas me contenter d’un “c’est beau” (oui, ce mini-troll est dirigé contre les trois premiers kikoo qui ont posté des commentaire sur le texte)) j’aimerai attirer ton attention sur un dernier truc qui a juste fini le travail d’incohérence.

    Des lasers.

    D’où tu sors des lasers ?
    C’est mignon les lasers mais dans ce cas là :

    – Ou t’es dans un monde futuriste et la situation décrite n’arrive pas. Ben oui, l’assassin pas fou hack le système domotique de l’hôtel, utilise un système pour repérer que la cantatrice est sous la douche et la pauvre cantatrice meurs sous les coups d’un sèche cheveux fou ou sous les jets brûlant de sa douche (250°C, ça suffit non ?). Là pour le coup les hurlements attire les gardes, la vapeur aussi.

    – Ou t’es dans le monde réelle avec une histoire assez touchante, triste, poétique, et l’assassin il se prend des bastos. Et il crie, il est balancé en arrière contre le miroir et il se met à saigner. Avec de la chance ta cantatrice est nue avec des gouttes de sang un peu partout et c’est poétique, un peu gore, même vachement plus sympa avec des éclats de porcelaine s’il y a des balles perdues (caution de la chambre qui saute en plus, t’as vu ?).

    (à noter qu’un laser faisant une brûlure, une mort hémorragique est juste improbable … tes jedis quand tu les découpes dans Star Wars, ils saignent ? Non ! Ils brûlent !).

    Mais sinon un texte beau (comme un poème) avec une histoire qui pars d’un très bon fond, mais … dommage pour les incohérences.

    (Ah, et aussi, t’écris drôlement bien !)

    • Le “kikoo” que je suis a juste apprécié ce qu’il a lu sans tout décortiquer et j’ai passé un bon moment en le lisant. Point. L’éminant critique littéraire que tu sembles (vouloir) être serait aimable de respecter les autres même si tu ne partages pas leurs avis.

      C’est “rigolo” car en me couchant hier soir, j’ai repensé à cette lecture et oui le coté viscères à lasers m’a gêné car j’étais plutôt parti dans une dimension “capes & épées”. Maintenant, je ne me suis pas focalisé sur ce point et j’ai apprécié l’ensemble et j’ai trouvé ça bien/beau.

      Le fait que l’assassin ne connaisse pas la musique peut aussi paraitre bizarre. Il suffit d’imaginer qu’il n’a connu que la musique commerciale et là qu’il découvre un morceau majeur et donc qu’il découvre la Musique avec un grand M ou qu’il a “La Révélation”

      Pour continuer, pour moi, l’histoire se suffit à elle-même. Maintenant, s’il y a une suite ou plutôt un début ( 😉 ), je suis preneur et j’encourage J-Mad dans son effort de prose (ainsi que celui pour polar-geek, je veux la suite de Lady Oscar) 🙂

      • ca va, ca va, j’ai compris, je vais me remettre aux fourneaux et je vais écrire des suites … 🙂

        rah la la, ce qu’il faut pas faire.

        Et pour les lasers je vais les changer par une autre arme. Pistolet sonique ou autre.

  6. Alors je reconnais que les lasers qui font saigner… j’ai merdé sur le coup, mais je voulais indiquer que c’était futuriste. Les lasers et les deux clairs de lunes (ce qui signifient 2 lunes 🙂 ).

    Pour le reste, oui c’est bien un monde futuriste 🙂 Et oui l’assassin n’a jamais écouté de musique. En fait normalement, j’aurais du écrire 7 petites scénette en tout. Celle-ci étant la première d’écrite, mais la dernière chronologiquement, les 6 autres ( 3 pour l’assassin, 3 pour la cantatrice) donnant les clés de toutes les zones d’ombres de l’histoire (dont le pourquoi il n’a jamais entendu de musique).

    Je ne les ai jamais écrite. Tu vas peut-être me forcer à le faire … 🙂

    Quand à l’utilisation du couteau …. il lui faut un couteau pour tracer la tulipe. Et puis tu n’as jamais vu léon ? les bons assassins tuent en étant tout contre leur victime. dans une quasi étreinte .. 🙂

    • je m’auto reply pour rajouter qu’il n’y a aucun problème avec les commentaires pavés. Je préfère largement un commentaire pavé pour dire tout ce qui va pas (et qui finit par un compliment en plus) que pas de commentaires du tout. (j’aime aussi beaucoup les commentaires qui disent juste que c’est cool hein, faut pas croire, je voudrais pas que vous vous mettiez tous à chercher les trucs qui vont pas 🙂 ).

      Et comme je vais publier goutte à goutte, mes textes ‘anciens’ et mes textes nouveaux, si j’en écrit, tu auras de nombreuses nouvelles occasions de faire des commentaires pavés 🙂

    • A ce moment là je pense que tu aurais dû commencer par les autres scénettes pour une raison bête :

      Et si je te racontais Matrix ?

      Néo est un jeune homme qui est interrogé par deux agents. Ils tentent de lui mettre un truc dans le nombril alors il hurle mais il se rend compte qu’il ne peut pas car sa bouche est recouverte par de la peau.

      Est-ce que j’ai raconté l’histoire ? Non. Parce que j’ai omis ce qui rend la scène compréhensible.

      (Alors la prochaine fois, on veut le début !)

      • je suis d’accord. Mais c’est la scénette de fin que j’ai imaginé en premier. et que j’ai écrite en premier

        les autres scénettes je les ai imaginé (et encore pas toutes) par la suite, pour expliquer les zones d’ombres.

        Mais si j’attends d’avoir écrite les scénettes précédentes pour tout publier… je ne la publierai jamais celle là. Et j’ai trop d’affection pour elle pour la laisser dormir dans un fichier odt … 🙂

        (et quand j’imagine les 7 scénettes, toute écrites et imprimées sur du papier, celle là est toujours la première, je trouve que ça va bien à l’histoire, de commencer par la fin 🙂 ).

        Grml… je sens que dés que j’ai fini polar geek, je vais tenter de reprendre le fil…

        GRML

  7. Kikoo ? Bon…
    Ecrire en commentaire, un pavé plus long que le texte lui-même, m’ouais…
    A mon sens, une nouvelle (et d’autant plus une courte nouvelle) est un instantané qui décrit une émotion unique. On ressent la profonde noirceur et l’inhumanité du tueur qui s’ouvre à la lumière et à la vie. C’est un peu manichéen mais c’est efficace.Les incohérences, on s’en tape… Même si l’incongruité de la présence des lasers a, pour ma part, perturbé la trame.
    Voilà pour le développement de mon commentaire. 🙂

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